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Text by Luca Berta & Francesca Giubilei, Directors of Spazio Arte Contemporanea
Exhibition “Museo Imaginario”, 2023

Les œuvres d'art sont des quasi-personnes. Ce sont les seuls objets auxquels, dans notre culture occidentale, on attribut une existence et une capacité d'interaction analogues à celles des sujets. C'est ce qu'a soutenu l'anthropologue anglais Alfred Gell. Ce sont des choses auxquelles nous reconnaissons une âme, ce qui n'est pas très dfférent de l'animisme ou de la magie chamanique d'autres cultures. J'entre dans un musée et je regarde un objet. Un morceau de bronze coulé, un tissu de lin recouvert de pigments : ce que je vois, ce ne sont pas les caractéristiques matérielles, mais la transcription des pensées, des intentions, des désirs de l'artiste - son âme transcrite sur la mienne, pour un bref instant ou pour toute une vie.

 

Brigitte Aubignac nous présente des images de groupe, ou plutôt des portraits de famille (principalement des gouaches et des huiles sur toile), où des sculptures plus ou moins reconnaissables remplacent des parents, des amis, des proches, des grands-oncles que l'on n'a jamais rencontrés. Ce sont des familles élargies, inclusives, chronologiquement transversales, qui réunissent Bouddha et Giacometti, la Petite Sirène et les Moai de l'île de Pâques, Rodin, l'Egypte ancienne, la Grèce classique, Marc Quinn et Louise Bourgeois. Chaque salle du Musée imaginaire de Brigitte Aubignac nous propose des groupes différemment composés, et nous invite au jeu de la reconnaissance de celui qui nous est familier ("J'ai l'impression de le connaître !"), car la familiarité avec les œuvres d'art nous dit quelque chose d'un commun qui se forge pour chacun, plus ou moins consciemment, par la présence et l'action qu'elles exercent sur la culture à laquelle nous appartenons. Par ailleurs, la mise en scène de Brigitte Aubignac dessine aussi des relations potentielles entre les différentes œuvres, que les systèmes de catégorisation historique et géographique ne permettraient guère en réalité. C'est comme si elle voulait nous montrer non seulement l'importance que chaque œuvre a eue sur elle (la seule rencontre, la seule transcription de l'âme), mais la toile complexe que les différentes œuvres ont tissée avec les fils de sa pensée, pour faire d'elle l'artiste qu'elle est. Ce qui semblait être un portrait de famille s'avère être une sorte d'autoportrait - et c'est peut-être toujours le cas.

 

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Si vous regardez attentivement, dans les différentes salles du Musée imaginaire, vous remarquerez la présence récurrente d'une sculpture en particulier, la Danseuse de Degas. Elle est souvent une figure incluse dans le groupe avec les autres. Mais parfois, elle prend une position excentrique, comme dans l'œuvre Salle XXV, où elle apparaît de profil tout en semblant observer une sculpture archaïque devant elle. Ou plus ouvertement encore dans l'œuvre Salle XI, où la danseuse est présentée au premier plan, de dos, devant toutes les autres œuvres. La transcription des âmes avec l'objet inanimé est si intense que la danseuse devient Brigitte Aubignac, qui regarde à travers ses yeux - et ajoute entre-temps un anneau, sa peinture, à cette superposition sans limites spatio- temporelles, dans laquelle mes yeux deviennent les siens qui sont aussi ceux de la danseuse. S'il nous arrivait de penser le musée comme une entité statique, figeant le pouvoir des œuvres dans la cage de l'institution et de l'histoire, nous ne pourrions trouver une objection plus efficace que l’oxymorique Musée imaginaire de Brigitte Aubignac, nous dit avec simplicité et grâce que soit c’est un musée imaginaire soit il ne l’est pas du tout.​​

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