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"Statues Etc." Brigitte Aubignac, Artiste
Catalogue de l'exposition "Statues Etc.", Éditions cultureclub-studio, 2023

Lorsque j’ai commencé à travailler sur ces gouaches , deux souvenirs très précis ont refait surface. Une photographie dans un vieil album de famille et mon expérience  en tant que gardienne de musée. Cette photographie de couleur sépia montre un coin d’atelier où figure parmi des études en plâtre et en marbre de différentes tailles, une statue grandeur nature représentant une Circée dont le modèle, Jeanne Grahaud épouse du sculpteur Antoine Bourlange né en 1872 et mort en 1951 à Villeneuve sur Lot,  était la sœur de mon arrière grand-mère paternelle. Cette Circé, femme nue à la posture « coquette », debout dans un  contrapposto à l’antique a le bras levé appuyé nonchalamment contre un tronc d’arbre, l’autre main posée sur la hanche.
 
J’imaginais entendre comme des chuchotements entre les sculptures de l’atelier, parlant entre elles d’histoires de famille avec cette impression de surprendre quelque chose dans le silence parfois troublant des statues à l’instant même où l’on pénètre dans la salle d’un musée. Les statues auraient un secret, celui d’être des témoins muets de toute une existence humaine à travers l’histoire de l’Art.


Durant ce travail  j’ai amassé dans mon atelier toute un ensemble de figurines de papier découpées, photocopies de sculptures variées prélevées pour la plupart de mes voyages, pièces d’un puzzle à venir, et comme l’on reconstruit l’image d’un jeu de patience, reprenant ainsi à mon compte cette vision du coin d’atelier de l’album de famille. Autre souvenir, celui d’une cour remplie de sculptures et de morceaux de chapiteaux laissés là en vrac au musée régional d’art ancien de Rouen. Étudiante alors à l’Ecole des Beaux Arts de cette ville, je me présente au Musée Départemental des Antiquités pour solliciter un emploi de gardienne pendant les week-ends. Je fus reçue par la Conservatrice en personne « vieille demoiselle » au grand chignon, assise derrière un immense bureau où un ensemble de petits fossiles et morceaux de statuettes cassés étaient posés là en ligne devant un impressionnant  sous main de cuir vert et un superbe 
plumier de marbre. Ma demande de candidature l’avait un peu surprise et elle me questionna sur mes motivations. Cette dame à l’air sévère voulu bien alors échanger quelques propos sur l’art avec la jeune étudiante en art que j’étais. Le passage au vestiaire métallique du sous sol le lendemain,  premier jour de mon engagement me fit une toute autre impression. Affublée d’un blazer bleu marine pour homme trois fois trop large et d’une casquette à visière qui m’empêchait de voir l’horizon à sa juste place, je fis connaissance avec mes collèges de travail, tous des hommes, époque oblige, ces derniers amusés et satisfaits d’avoir enfin pu trouver un uniforme à ma taille! J’étais ainsi chargée entre autre, de dépoussiérer avant l’ouverture du Musée au public une grande mosaïque gallo-Romaine du IIIe siècle. Celle ci  était encastrée dans une sorte de piscine, elle l’est toujours. Elle avait été découverte à Lillebonne et devait recouvrir le sol de la salle à manger d’une riche villa. Elle représentait une chasse au cerf… on y voyait une nymphe poursuivit par un dieu… une scène de chasse commençant par une offrande à Diane, des chevaux, des chiens et des cerfs.

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Dans le silence de la salle encore vide, je devais ôter mes chaussures et en chaussettes, balai à la main, arpenter de long en large, les 25 mètres carrés de la précieuse mosaïque. A l’heure d’ouverture, mon travail consistait alors à circuler dans les salles et la faible fréquentation alors d’un musée de province 
m’amenait à regarder des heures durant les vitrines gorgées non de sucreries mais de merveilleux vases antiques à figures rouges et noires, de statuettes de culte, de déesses mères, de petites Vénus de terre cuite et autres trésors mystérieux. Parfois pour combattre un sentiment d’inutilité je m’échappais des 
salles antiques pour découvrir le département du Moyen Age. On y entrait par un cloître recyclé de l’ancien monastère de la Visitation du XVII siècle. Il abritait un amas de pierres verdies, morceaux lapidaires, piliers sans tête, fragments de sculptures comme rescapées d’un massacre, une cour des miracles où les chapiteaux servaient de socles aux statues, où les gargouilles déposées à terre ne crachaient plus que de la mousse. Je visitais chaque jour mes morts, c’est ainsi que j’appelais ces sculptures posées là au terme d’un long périple. Les dieux et déesses n’avaient plus d’oracle à rendre ni d’autel à honorer. Les Saints goûtaient là, à la vraie solitude d’un désert de pierre. Les mains, les pleurs, les prières des fidèles les avaient abandonnés . 

 

J’adorais cet endroit où l’on chemine sans plan ni étiquette, où les objets semblent résister au « hacher menu » de la classification muséale, quand c’est l’émotion seule qui nous fait voir. Ces deux expériences intimes ont pu faire écho au travail des gouaches dans lesquelles je montre des salles de sculptures ou 
réserves d’un musée imaginaire où s’entassent tout un ensemble hétéroclite, une cour des miracles ou de récréation pour statues où dialogueraient de façon fortuite des œuvres d’époques ou d’origines différentes connues de l’histoire de l’art assemblées là par goût et affinité ou par simple jeu formel. Faire voisiner une déesse grecque avec une déesse africaine, une Vénus grecque avec une déesse hindoue, un Bouddha, un Ganesh avec un kouros, un putti dansant, un faune avec l’araignée de Louise Bourgeois,  la petite danseuse de Degas avec le lièvre de Flanagan ou le marcheur de Giacometti. Donner à voir en miroir la multiplicité et la richesse de nos cultures et face à l’avalanche d’images sur les réseaux et autres plateformes culturelles de nos sociétés contemporaines servir de point d’ancrage comme un frein au gaspillage dans une sorte de «  recyclage » d’images et représentations diverses, dans des situations inhabituelles, inattendues, joyeuses, parfois inquiétantes afin de retenir ce qui me semble disparaitre ou se perdre dans le grand bazar du monde.

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