«Faunes et Faunesses» Dominique Stella, Commissaire de l'exposition
Catalogue de l'exposition «Faunes», Éditions Process-Graphic, 2018
Il s’agit ici d’une trentaine d’œuvres, peintures principalement et dessins à la sanguine sur le thème du faune, de la faunesse et de leur histoire qui traverse le travail de l’artiste depuis maintenant plus de dix ans. L’exposition se veut donc être un parcours, une exploration même du monde pictural, si singulier de Brigitte Aubignac dont le déroulement s’articule en moments successifs, en séquences, qui ne constituent jamais des ruptures mais seulement des passages tant l’œuvre dans son ensemble conserve son caractère homogène.
Il y eut ainsi, depuis toutes ces années, les Faunes, nés en 2006, dont, par la suite, elle déclina l’existence – sans en faire une exclusivité - dans la série des Garçons, des Portraits, puis dans les Insomnies et les Maquillages et les Faunes tout simplement, dans leur vie propre et singulière. Qu’ils habitent la forêt, à leur origine et puis récemment la ville, ils sont l’âme d’une œuvre racontée, actuelle, loin d’une mythologie historique mais au contraire paradigmes d’une réalité éternelle. Cette peinture, rare dans le paysage artistique d’aujourd’hui, s’impose par son caractère poétique et éminemment sensible qui aborde métaphoriquement le thème de la différence, de la variété des corps et de la métamorphose dans une série de tableaux parfois extrêmement joyeux, ou au contraire profondément nostalgiques dans lesquels affleure toujours le sentiment de vie.
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Qui sont ces faunes que Brigitte Aubignac peint avec une constance quasi obsessionnelle depuis si longtemps ? Certainement des créatures mythiques dont l’histoire remonte aux antiques légendes grecques et romaines, mais aussi les acteurs mystérieux d’une épopée qui répercute son écho dans un présent où ils s’insinuent aux marges de notre monde. Ces demi-dieux des temps anciens symboles de plaisir et de vie champêtre sont propulsés dans un aujourd’hui qui, malgré leur insouciance, peut leur paraître hostile et inquiétant. Les stigmates de leur animalité les excluent d’une normalité à laquelle ils semblent aspirer ; leurs oreilles, leur pelisse et leurs pieds de bouc sont difficilement masqués par des vêtements qui les banalisent. Deviendraient-ils humains ! Cette mutation intéresse l’artiste qui voit dans l’état mi-homme/mi-animal le symbole d’une évolution primitive qui lie l’homme à la nature dont il est issu. Son propos est soutenu par une capacité à créer une peinture à la fois de paysage et de personnages dans laquelle sujet et couleur se complètent dans une harmonie où « la tonalité de l’ensemble est au service de la création poétique et picturale ».
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Les premières œuvres qui mettent en scène les faunes apparaissent dans le travail de Brigitte Aubignac fin 2006, d’abord sous la forme de petites toiles dans la lignée des tableaux intimistes des séries précédentes Portraits anonymes et Les Garçons. Ces créatures fantastiques sont dépeintes dans des situations banales et quotidiennes qui suggèrent une anecdote (Deux faunes sous la lune, 2006, A l’orée du bois, 2006) ou traduisent un ressenti (L’Embarras, 2006), elles sont surprises dans leur réflexion, en conversation, ou encore dans leur jeu. Leur naturel enfantin, insouciant et enjoué s’exprime ainsi dans une suite de tableaux d’inspiration bucolique dans lesquels les bois et les forêts recèlent encore le secret de ces êtres mutants qui symbolisent « l’état de nature », aurait dit Jean-Jacques Rousseau, avant l'instauration de l'état social.
Très vite, dès 2008, la peinture s’impose dans des formats monumentaux. Deux œuvres magistrales occupent une partie importante de l’exposition, Les Troublions, et Le Dimanche des Faunes. Les faunes ont besoin d’air et d’espace, les troublions s’amusent, chantent, jouent de la musique, l’un d’entre eux esquisse un sourire moqueur, la scène est joyeuse, on y devine un festin partagé et au loin un observateur assiste à ces réjouissances dans un paysage de campagne pacifiée. La composition de l’œuvre se focalise sur cet instant de plaisir, accentuant l’impression d’insouciance de ces êtres espiègles qui semblent défier la raison, tandis que l’artiste esquisse un paysage qui s’estompe dans une perspective lointaine.
Dans Les Troublions l’empreinte de l’homme est encore peu visible, elle se fait plus évidente dans Le Dimanche des Faunes. La tentation de la civilisation y est plus marquée. Les faunes poussés par leur curiosité instinctive, s’approchent de la ville que l’on ne peut qu’imaginer, mais qui marque déjà de son empreinte les rives d’un paysage omniprésent, souillés par les débris d’une décharge qu’explorent ces petits monstres, en quête de quelques vestiges dont ils s’emparent et se parent. Dans ce groupe d’êtres mutants les transformations s’affirment, leurs caractéristiques animales s’estompent, la tentation de la normalité se fait plus évidente, l’un passe un pantalon, l’autre essaye une chaussure, la faunesse enfile une jupe et évalue l’effet produit. La scène suggère l’éternité d’un instant partagé que Brigitte Aubignac saisit telle une fable qui n’est que le miroir d’une réalité sensible et bien actuelle. La peintre se veut aussi héritière d’un classicisme pictural par lequel le paysage n’est pas seulement un décor, mais témoigne aussi des relations des êtres et de la nature dans un chromatisme, tout en retenue de vert apaisants et de jaunes de terre et de soleil.